
Lorsqu'une articulation est blessée ou subit une intervention chirurgicale, il n'est pas rare d'observer une difficulté à activer certains muscles, notamment le quadriceps. Ce phénomène, connu sous le nom d'arthrogenic muscle inhibition (AMI), résulte d'un dysfonctionnement neurologique qui empêche une contraction musculaire optimale. Invisible à l'œil nu, mais aux conséquences bien réelles, l'AMI peut ralentir la récupération après une blessure ou une opération, compromettant la force et la stabilité articulaire.
Dans cet article, nous allons explorer en détail ce qu'est l'AMI, ses causes, ses effets sur le corps, ainsi que les solutions existantes pour la diagnostiquer et la traiter efficacement.
L'arthrogenic muscle inhibition ou AMI, qu'est-ce que c'est ?
L’arthrogenic muscle inhibition (AMI) est un défaut de la commande motrice d’un muscle ou d’un groupe de muscles. Lorsqu’une articulation est touchée, celle-ci envoie un message au système nerveux central qui va entraîner un défaut d’excitabilité des voies neuronales et un défaut d’activation musculaire[1]. En bref, il s’agit d’un défaut d’un mécanisme neurologique nécessaire à la contraction d’un muscle.
Le muscle le plus touché est le quadriceps. Les fibulaires peuvent également être concernés par l’AMI, notamment dans les instabilités chroniques de cheville (entorses à répétition)[2]. Des études mettent aussi en évidence un lien entre certaines douleurs lombaires et l’AMI des muscles profonds du rachis[3].
Les principales causes d’apparition sont les blessures de manière générale, les chirurgies ou encore l’arthrose. Ces causes entraînent des signes cliniques qui sont à l’origine de l’AMI comme un gonflement articulaire, une inflammation, des douleurs ou encore une laxité anormale[1].
Les symptômes propres de l’AMI sont :
- Une dysfonction contractile : difficulté à recruter les fibres musculaires.
- Un manque de force inhérent.
- Une sensation d’instabilité articulaire inhérente.
- Une diminution du volume musculaire (amyotrophie) en conséquence du manque d’activation.
Le diagnostic se fait sur le recueil des informations du patient : contexte, un antécédent de blessures ou de chirurgie de la zone. Vient ensuite, l’examen clinique où l’ensemble des symptômes est évalué. Un test avec un EMG (électromyogramme) de surface peut être réalisé pour mettre en évidence un défaut de contraction musculaire en comparaison du côté sain. L’AMI post-opératoire est très fréquente alors les professionnels de santé qui vous prendront en charge sauront la diagnostiquer.
Classification des différents grades d'une AMI
Il n’y a pas de classification générale d’une AMI, mais des chercheurs en ont édité une pour celle du genou[4], la plus fréquente. Elle se base sur la contractilité du vaste médial oblique (VMO) qui est le faisceau interne du quadriceps. Cette classification se présente comme suit :
- GRADE 0 : contraction normale du vastus medialis oblique.
- GRADE 1a : contraction inhibée, mais réversible avec des simples exercices d’activation.
- GRADE 1b : contraction inhibée, mais réversible avec un programme de rééducation spécifique et plus long.
- GRADE 2a : contraction inhibé avec un déficit d’extension du genou dû à une contracture des ischio-jambiers réversible par des simples exercices d’activation.
- GRADE 2b : contraction inhibé avec un déficit d’extension du genou dû à une contracture des ischio-jambiers réversible par un programme de rééducation plus long et spécifique.
- GRADE 3 : déficit chronique d’extension du genou irréductible sauf par intervention chirurgicale (incapacité à tendre, genou bloqué en flessum).
Prise en charge et traitement de l'arthrogenic muscle inhibition en kinésithérapie
La prise en charge de l’AMI se fait par un masseur-kinésithérapeute. Pour aborder le traitement kiné, nous allons prendre comme exemple la sidération musculaire post-opératoire d’une ligamentoplastie du LCA (ligament croisé antérieur), ce sujet étant le plus étudié dans la littérature autour de l’AMI.
Plusieurs types d’interventions peuvent être appliqués, en voici quelques-uns avec leurs indications associées[5] :
- Cryothérapie : c’est la thérapie par le froid (poche de glace, air pulsée). Elle est utile notamment lors de la 1ère semaine post-opératoire. Elle aurait pour intérêt de faciliter l’activation du quadriceps par la stimulation des récepteurs cutanés sensibles au changement de température.
- Thérapie par vibration : effet à très court terme (sur 1h) mais notable. Elle aurait pour effet de faciliter également l’activation du quadriceps.
- Stimulation électrique neuromusculaire (NMES) et travail excentrique : sur un protocole de 12 semaines, l’association des deux semblent avoir des effets intéressants durables à long terme avec une augmentation de la force et du volume du quadriceps. Il y a un meilleur recrutement des fibres musculaires que le travail excentrique seul.
Notes : Le travail excentrique se traduit par une contraction musculaire avec un éloignement des insertions musculaires. Pour le quadriceps par exemple, un travail excentrique correspond à la descente lors d’un squat. Le travail excentrique a un rôle freinateur.
- Appareil de biofeedback : effet notable sur la force musculaire si son utilisation est faite en phase précoce de rééducation.
- Blood Flow Restriction (BFR) : le BFR est une technique qui consiste à mettre une sangle à la racine des membres dans le but de réduire l’apport sanguin de la zone. Cette technique est utilisée en parallèle de renforcement musculaire pour entraîner le muscle dans des conditions difficiles. Dans le cadre de l’AMI, il faut davantage de recherches pour déterminer son efficacité.
La reprogrammation neuromusculaire basée sur la méthode Allyane est applicable pour lutter contre la sidération musculaire. Elle se base sur les sensations proprioceptives (perception de son corps dans l’espace), l’imagerie mentale du geste (capacité à décortiquer un mouvement dans sa tête sans le réaliser) et les sons de basses fréquences (permettant d’augmenter les capacités cérébrales). Des formations pour les professionnels et des témoignages de patients autour de la reprogrammation neuromotrice sont disponibles sur le site https://allyane.com/.
Lever l’inhibition neuromotrice du quadriceps permet de récupérer le verrouillage du genou ainsi que la marche. Cela en fait la priorité dans une prise en charge post-opératoire de ce type. Il n’y a pas de protocole strict si ce n’est d’utiliser les diverses méthodes ci-dessus de manière croisée en fonction des préférences de chacun. De même, il n’y a pas de délai fixé, une AMI peut être réduite en quelques jours comme en quelques semaines avec une disparition totale des signes ou une forme résiduelle d’inhibition motrice. Il y a une importante variabilité entre les individus et les situations de soins. À noter qu’une rééducation préopératoire, lorsqu’elle est possible, est facteur d’une meilleure récupération post-opératoire.
Bibliographie :
[1] Rice, D. A., & McNair, P. J. (2010). Quadriceps Arthrogenic Muscle Inhibition : Neural Mechanisms and Treatment Perspectives. Seminars in Arthritis and Rheumatism, 40(3), 250–266. https://doi.org/10.1016/j.semarthrit.2009.10.001
[2] Dong, S., Liu, Y., Liu, Z., Shen, P., Sun, H., Zhang, P., Fong, D. T. P., & Song, Q. (2024). Can Arthrogenic Muscle Inhibition Exist in Peroneal Muscles Among People with Chronic Ankle Instability ? A Cross-sectional Study. Sports Medicine - Open, 10(1). https://doi.org/10.1186/s40798-024-00710-y
[3] Russo, M., Deckers, K., Eldabe, S., Kiesel, K., Gilligan, C., Vieceli, J., & Crosby, P. (2017). Muscle Control and Non-specific Chronic Low Back Pain. Neuromodulation : Technology at the Neural Interface, 21(1), 1–9. https://doi.org/10.1111/ner.12738
[4] Sonnery-Cottet, B., Hopper, G. P., Gousopoulos, L., Vieira, T. D., Thaunat, M., Fayard, J.-M., Freychet, B., Ouanezar, H., Cavaignac, E., & Saithna, A. (2022). Arthrogenic Muscle Inhibition Following Knee Injury or Surgery : Pathophysiology, Classification, and Treatment. Video Journal of Sports Medicine, 2(3), 263502542210862. https://doi.org/10.1177/26350254221086295
[5] Pietrosimone, B., Lepley, A. S., Kuenze, C., Harkey, M. S., Hart, J. M., Blackburn, J. T., & Norte, G. (2022). Arthrogenic Muscle Inhibition Following Anterior Cruciate Ligament Injury. Journal of Sport Rehabilitation, 1–13. https://doi.org/10.1123/jsr.2021-0128